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DE LA CONSCIENCE A L’INCONSCIENT

INTRODUCTION


 conscience et L’inconscient : Le mot conscience vient du latin « cum scientia » qui signifie « accompagné de savoir ». Etre conscient, c’est penser, agir ou sentir tout en sachant que l’on pense, que l’on agit ou que l’on sent. C’est une perception ou une connaissance de soi-même, de ses actes et du monde. Le dictionnaire Lalande entend par conscience cette « intuition que le sujet a de ses états et de ses actes ». L’inconscient, par contre, désigne une dimension de notre psychisme, de notre personnalité. En psychanalyse, l’inconscient renvoie à l’ensemble des représentations et des désirs inaccessibles à la conscience et souvent refoulés par elle. La conscience et l’inconscient ont une histoire, car on est passé de l’une à l’autre dans la manière de concevoir l’homme. Pendant longtemps, la conscience a été synonyme de raison, et l’homme était défini comme un être pensant qui contrôle ses pensées. Mais Freud va révolutionner les choses en introduisant l’inconscient pour redéfinir l’homme et montrer qu’il n’est pas toujours maître de ses pensées. Avec cette redéfinition de l’homme, plusieurs questions s’imposent : La théorie de l’inconscient ne réduit-t-elle pas l’homme à un être de désirs plutôt qu’à un être de raison ? Accorder à l’inconscient une place plus grande que celle de la conscience, n’est-ce pas nier la liberté de l’homme et admettre l’absence de raison chez lui ? Sartre pense que l’inconscient, tel que formulé par Freud, est une pure fiction. Pour lui, le fait de se réfugier derrière l’inconscient pour ne pas assumer la responsabilité de nos actes, relève de la mauvaise foi.

I- LA CONSCIENCE

1-Conscience psychologique et conscience morale

 Il existe plusieurs formes de conscience, mais nous n’en retenons que deux. La conscience est dite morale lorsque le sujet analyse son acte après l’avoir accompli et lorsqu’il en tire un sentiment de satisfaction ou d’insatisfaction. La conscience morale est normative, car c’est un « juge intérieur » qui permet à l’homme de juger ses actes. C’est avec ce type de conscience que l’homme éprouve des regrets ou des remords. Rousseau la nomme « juge infaillible du bien et du mal ». La conscience est dite psychologique lorsqu’elle rend le sujet capable de percevoir sa propre activité psychique, c’est à dire lorsque l’individu est capable de revenir par la pensée sur ce qu’il fait pour mieux analyser son intériorité et pour mieux guider ses actes. Descartes estime que c’est ce retour de la pensée sur elle-même qui permet à l’homme de bien conduire sa raison.

En fait, le mot conscience a tardivement été utilisé en philosophie. On utilisait des termes comme pensée, raison ou esprit, et c’est René Descartes qui a été le premier à avoir assimilé la conscience à la raison à partir de son cogito. La conscience liée à la pensée est donc née avec Descartes lorsque celui-ci a mis en évidence que le « je pense » était le premier principe métaphysique et la condition de toute certitude. Le cogito cartésien est issu du doute hyperbolique qui fait table rase de tout. Mais Descartes s’est rendu à l’évidence qu’il peut douter de tout sauf qu’il est en train de douter. Etant donné que seule la pensée résiste au doute, Descartes a pu avouer : « Même si je doute de tout, je ne peux pas douter que je suis en train de douter », d’où son slogan « je pense donc je suis ». Pour lui, l’homme est une res congitans (substance ou chose pensante), « une substance dont toute la nature ou l’essence n’est que de penser ». Chez Descartes, c’est la conscience qui définit l’homme. Mieux, il affirme que la conscience peut exister sans se rapporter au monde, c’est à dire que la pensée s’enferme sur elle-même et se suffit à elle-même. Cela veut dire que pour exister, la conscience n’a pas besoin du monde, d’où le solipsisme qui signifie solitude de l’esprit. Le point de vue de Descartes sera analysé par les phénoménologues Husserl, Maurice Merleau-Ponty et Jean Paul Sartre qui reprochent à Descartes son solipsisme.

2-Critique des phénoménologues

 Les phénoménologues définissent, d’emblée, la conscience comme conscience de quelque chose. « Tout cogito, affirme Husserl, a un cogitatum » (toute conscience est conscience de quelque chose). La conscience, pour lui, est une intentionnalité, c’est à dire une tension vers le monde, un surgissement ; elle n’a rien d’intérieur, elle est pure extériorité. Cela veut dire que la pensée porte toujours sur un objet. Pour Sartre, la conscience se détermine dans le rapport avec autrui. Il écrit dans l’Etre et le néant : « Autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même ». C’est donc à travers le regard de l’autre et de ses jugements que je peux me connaître. Il ajoute : « Percevoir un arbre, c’est s’arracher à la moite intimité gastrique pour filer là-bas, par-delà soi vers ce qui n’est pas soi ; là-bas près de l’arbre et cependant hors de lui, car il m’échappe et me repousse et je ne peux pas plus me perdre en lui qu’il ne peut se diluer en moi ; hors de lui, hors de moi », Une idée fondamentale de la phénoménologie de Husserl : l’intentionnalité, 1939. La position sartrienne de la conscience s’établit comme une négation du solipsisme cartésien. Pour Sartre, ce n’est pas dans la solitude que l’on prend conscience de soi, mais au cœur du monde et des autres. Le face-à-face cartésien – entre soi et soi-même – serait une illusion.

Le solipsisme cartésien sera également critiqué par Pierre Gassendi qui, dans une objection adressée à Descartes, a dit : « Je pense, dites-vous, mais que pensez-vous ? Car enfin, toute pensée est pensée de quelque chose ». A cela, Descartes a répondu : « Quoi que je pense, je pense », pour dire que peut importe ce qu’il pense, l’essentiel est qu’il pense.

A travers ces différentes conceptions de la conscience, peut-on vraiment dire que toutes les actions de l’homme sont le fait de la conscience ? Autrement dit, peut-on dire que tout l’être de l’homme se réduit à la conscience ? Le psychisme de l’homme est-il entièrement conscient ? L’homme est-il entièrement maître de ses pensées et actes ? C’est précisément cette conception réduisant le psychisme à la conscience qui sera bouleversée avec la découverte de l’inconscient par le fondateur de la psychanalyse, Freud.

La conscience semble souvent nous échapper, car elle peut être influencée par ce qui n’est pas elle : le corps pour Spinoza puis Freud, la société pour Marx ou les instincts les plus vils pour Nietzsche. Marx, Nietzsche et Freud sont surnommés les « maîtres du soupçon » parce que chacun soupçonne que derrière toute action humaine, il y a un motif inconnu qui fait agir l’homme à son insu. Ces trois philosophes vont faire le procès de la conscience et montrer que la conscience de soi ne correspond pas à la connaissance de soi.

Selon Spinoza la conscience de soi s’apparente à une « illusion de connaissance ». Autrement dit, l’homme se trompe en pensant être maître de ses actes. D’après Nietzsche « La conscience est la dernière et la plus tardive évolution de la vie organique, et par conséquent ce qu’il y a de moins accompli et de plus fragile en elle » (Le Gai Savoir).  Il ruine la primauté de la conscience posée par Descartes et estime qu’il serait illusoire de trouver des motifs conscients à tous nos actes. Ces actes traduisent plutôt un conflit de nos instincts ou désirs inavoués. La conscience est également influencée par la société. En à croire Marx et Engels dans l’Idéologie allemande « La conscience est d’emblée un produit social et le demeure aussi longtemps qu’il existe des hommes » c’est-à-dire la conscience est toujours déterminée de l’extérieur. C’est Freud qui, véritablement, va bouleverser l’idée selon laquelle l’homme contrôle ses pensées. Le concept d’inconscient suppose que notre vie psychique est, pour une grande partie, dictée par des forces à notre insu. Ce qui permet de dire que l’homme est étranger à lui-même, il ne se connaît pas et ne maîtrise pas grand-chose de son esprit. Si la majorité de ses pensées et des ses actes lui échappe, l’homme peut-il être tenu responsable de ce qu’il pense et de ce qu’il fait ? Comment une telle mutation, de la conscience à l’inconscient, a-t-elle bien pu s’opérer ?

II- L’INCONSCIENT: PORTEE ET LIMITES

1-La théorie de l’inconscient de Freud

Avant Freud, des philosophes comme Leibniz, Spinoza et Nietzsche ont été les précurseurs d’un inconscient psychique. Freud sera, plus tard, le porte-étendard de cette philosophie. Il considère que l’inconscient est constitué de souvenirs et de sentiments éprouvés au cours de l’enfance, y compris les pulsions sexuelles ou libido. La première théorie qu’il élabore en 1900 présente le psychisme humain sous la forme d’une topique constituée de la conscience, du préconscient et de l’inconscient. L’inconscient étant constitué des désirs refoulés et de pulsions, le préconscient étant l’instance de la censure qui aide la conscience à refouler les désirs non compatibles avec l’ordre social mais qui ont réussi à tromper la vigilance du préconscient. A partir de 1920, Freud introduit la seconde topique constituée du moi, du surmoi et du ça. conscience et L’inconscient

 a-Le moi appelé aussi conscience

En psychanalyse, le moi désigne l’une des trois instances de l’appareil psychique, aux côtés du ça et du surmoi. Il est en contact avec la réalité extérieure. Il tient rigoureusement compte des interdits et censure tout désir non compatible avec l’ordre social. Il subit la pression du ça. La formation du moi commence à la naissance, dès les premières confrontations avec le monde extérieur. Le moi apprend à modifier son comportement en contrôlant les pulsions socialement inacceptables. Il a un rôle de médiateur entre les pulsions inconscientes et les critères sociaux et personnels acquis.

b-Le surmoi appelé aussi censeur

Il est constitué par l’ensemble des interdits parentaux ou sociétaux. Depuis la prime enfance, les règles et les normes établies censurent certains désirs, les empêchent de se réaliser ; tout individu intériorise ces règles. Avant même que ces désirs qui proviennent de l’inconscient arrivent à la conscience, ils subissent le contrôle rigoureux du surmoi. Si ces désirs sont conformes à l’ordre établi, ils passent ; s’ils ne sont pas conformes, ils sont systématiquement refoulés. Selon Freud, cette lutte se déroule à l’insu du sujet conscient. Il dit que le moyen propice pour tromper la vigilance du surmoi, c’est le sommeil.

c-Le ça ou inconscient

Le ça est dominé par le principe de plaisir qui pousse l’individu à accéder immédiatement à ses désirs. Dans la théorie de Freud, le ça est constitué de l’ensemble des pulsions et tendances qui sont en nous depuis notre naissance. L’énergie qui est à la base de ces tendances d’origine sexuelle, Freud la nomme libido. Le ça est donc composé de la libido et de l’ensemble des désirs qui ont été refoulés depuis l’enfance. Il ignore le temps, c’est pourquoi tous les désirs refoulés, rejetés dans l’inconscient attendent un moment propice pour se réaliser. Ils ne disparaissent pas, leur réalisation peut emprunter des voies détournées comme le rêve ou la création artistique et littéraire par ce que Freud nomme sublimation. A ce sujet, Freud dit que « le rêve est la voie royale qui mène vers l’inconscient ». Mais le rêve n’est pas le seul moyen pour accéder à l’inconscient, il y a aussi le les actes manqués, la psychanalyse (la technique du divan qui se substitue à l’hypnose) ou la névrose.

Au total, le noyau de toutes les tendances humaines est la libido. Et Freud dira que cette libido renferme la pulsion de vie appelée Eros et la tendance de mort appelée Thanatos. Eros nous incline vers tout ce qui est satisfaction des désirs sexuels et les variantes de ces désirs que sont l’affectivité, l’amour pour les parents, les amis, les frères etc. Thanatos, c’est tout ce qui nous incline vers l’agressivité, les sentiments négatifs de destruction envers soi-même et les autres. Dans ce contexte, le complexe d’Œdipe se présente depuis l’enfance à travers ces deux pulsions : Eros et Thanatos. Chez l’enfant, dit Freud, Eros se fixe sur le parent de sexe opposé et Thanatos sur le parent du même sexe. Chez la fillette, on parlera volontiers de complexe d’Electre. Sur ce même registre, Freud donne à la notion de sexualité un sens qui déborde la signification courante du terme. Il reconnaît l’existence d’une sexualité infantile qui s’exprime à travers trois stades. Le stade oral qui met l’accent sur la bouche, le stade anal qui est centré sur l’anus et le stade génital tourné vers les parties génitales. Selon Freud, le bon ou le mauvais déroulement de la sexualité infantile se répercute sur celle de l’adulte.

Ce que la théorie de Freud apporte comme nouveauté, c’est que les troubles de la personnalité trouvent leur explication et, dans certains cas, leur solution lorsque, par la technique de l’analyse, on parvient à remonter à l’enfance des patients et à découvrir les aspects troublants ou traumatisants de leur histoire. Cependant, la théorie psychanalytique de Freud n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes. Peut-elle prétendre être une science au même titre que les sciences expérimentales, les sciences humaines ou les sciences formelles ? Admettre l’existence d’un inconscient psychique, n’est-ce pas ôter à l’homme la responsabilité qui est liée à sa liberté ? Accepter l’existence d’un inconscient, dit Sartre, c’est fournir à l’homme un alibi pour fuir devant ses responsabilités. Est-il donc concevable de définir l’homme, non pas comme un être de raison, mais plutôt comme un être de désirs ?

 2-Portée et limites de la théorie de l’inconscient

 En découvrant l’inconscient, Freud a apporté une révolution à la conception de l’être humain. L’interprétation des rêves et la technique du divan vont lui permettre de faire du patient un acteur de sa propre guérison. Lorsque Freud applique les théories de la psychanalyse aux autres phénomènes sociaux telles que la religion, la création artistique et littéraire, il fait une œuvre révolutionnaire mais dont la portée peut être relativisée. En tout état de cause, son influence sur la littérature, notamment sur le courant surréaliste est incontestable. L’interprétation que Freud fait de la religion n’est pas éloignée de celle des matérialistes (Marx, Engels). Il faudra noter qu’à partir de Freud et autour de lui, plusieurs théoriciens de la psychanalyse émergent, ils critiquent et complètent à la fois l’œuvre du maître. Ils ont pour noms Karl Gustav Jung et Alfred Adler qui ajoutent à la théorie freudienne l’idée d’un inconscient collectif. La réaction de Freud face aux critiques de ses disciples sera l’excommunication.

La théorie psychanalytique qui se veut scientifique est-elle inattaquable, non critiquable ? Le critère de scientificité d’une théorie, dira Karl Popper, c’est sa falsifiabilité. Cela revient à dire que pour être vraie, il ne suffit pas pour une théorie d’avoir un caractère expérimental, mais il faut surtout que les faits sur lesquels la théorie se base puissent être soumis à la vérification et soient confirmés ou infirmés. Certes, la pratique clinique freudienne a donné des résultats appréciables, mais une théorie scientifique ne peut pas tout justifier, tout expliquer ou encore avoir toujours raison. Si donc la théorie de Freud ne se prête pas à des améliorations ou à un dépassement, elle ne saurait prétendre à la scientificité. Toute vérité scientifique, dit Gaston Bachelard, est en suris parce que la science avance par rectifications successives de ses erreurs.

CONCLUSION

Au plan philosophique, l’inconscient introduit l’idée d’une détermination, d’un déterminisme face à la liberté. L’homme serait-il libre ou plutôt entièrement déterminé par son inconscient au sens où il dirait que c’est l’inconscient qui agit en lui ? Pour cette raison, Sartre récuse l’idée d’un inconscient psychique. L’homme est liberté et sa nature entière, c’est d’être libre ; et c’est en ce sens qu’il est entièrement responsable, dit Sartre. Se réfugier derrière l’inconscient pour justifier un comportement, c’est de la mauvaise foi, conclut Sartre pour qui l’inconscient est une pure illusion, une fiction.


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