GUSTAVE FLAUBERT, MADAME BOVARY, 1857
INTRODUCTION
Madame Bovary est la peinture psychologique d’une jeune fille nourrit d’illusions romantiques et romanesques. Flaubert s’appuiera sur son héroïne pour présenter en même temps, avec un réalisme plus que pointu, la société de son époque.
Pour Flaubert, le réalisme consistera à observer les hommes selon une parfaite objectivité afin d’imaginer avec le maximum de vraisemblance les idées, les sentiments, le langage même des personnages. Dans le cas d’Emma Bovary, Flaubert s’est attaché à marquer l’influence des impressions d’enfance et de jeunesse, puis des événements extérieurs sur l’évolution des sentiments de son héroïne. Tout au long du roman, en vertu d’une sorte de déterminisme, elle glisse comme sur une pente vers l’ennui, le mensonge, l’infidélité et enfin le suicide.
I - PRESENTATION DE L’AUTEUR
Gustave Flaubert est né le 12 Décembre 1821 à Rouen. Il passe son enfance à l’Hôtel-Dieu de Rouen où son père chirurgien était le médecin chef. C’est là qu’il a probablement puisé dès l’enfance un fond de tristesse et de pessimisme et sans doute aussi le gout de la science, de l’observation méticuleuse et objective.
Imprégné de littérature romantique, il prend conscience de sa vocation d’écrivain, et, c’est à contrecœur qu’il poursuit à Paris ses études de droit. En 1836, il fait à Paris la connaissance de l’unique amour de sa vie, Elisa Schlésinger, qui lui inspirera le personnage de Madame Arnoux dans l’Education sentimentale (1869). Il se lie d’amitié avec Victor Hugo qu’il admire beaucoup.
Terrassé par une maladie nerveuse, Flaubert se retire dans sa propriété de Croisset, non loin de Rouen où il se consacrera uniquement à l’écriture et aux voyages. Flaubert meurt épuisé par la fatigue et les soucis en 1880.
Outre son roman Madame Bovary (1957), Flaubert a écrit d’autre roman réaliste comme : Salammbô (1862), L’éducation sentimentale (1869), La Tentation de St-Antoine (1874), Saint Julien l’Hospitalier (1876), Hériodas (1976), Un cœur simple (1876), Les Trois contes (1877) et en fin Buvard et Pécuchet (inachevé) – Le Candidat (théâtre, 1874).
II - FLAUBERT ET LE REALISME
Ayant fait sa jeunesse dans un milieu médical où l’observation rigoureuse des phénomènes était de règle et où s’affirmait déjà la croyance au déterminisme physiologique, la documentation est donc devenue la condition parfois écrasante du labeur d’écrivain de Flaubert.
Puisque ses romans s’inspirent, pour la plupart, d’événements réels contemporains ou historiques, il se livre à de vastes enquêtes : il recherche ce qu’étaient ses personnages, leur hérédité, leur conduite, les lieux où ils ont vécu, et il reste généralement aussi prés de la réalité que son art de romancier lui permet.
Ce souci de l’exactitude documentaire était devenu pour Flaubert une hantise. Par exemple avant de décrire l’empoisonnement de Madame Bovary ou les effets de la faim sur les Mercenaires dans Salammbô, il consulte plusieurs traités médicaux. Dans l’Education sentimentale au prix de recherches écrasantes, il reconstitue l’atmosphère parisienne entre 1840 et 1851, et en particulier les journées révolutionnaires avec une précision qui a provoqué l’admiration des historiens. Avec Salammbô, Flaubert s’est imposé des recherches historiques énormes car l’espace où se déroule l’action est une ville du IVe siècle avant J.C mise à jour par l’archéologie.
Par la documentation, il se proposait d’acquérir « ce coup d’œil médical de la vie, cette vue du vrai qui est le seul moyen d’arriver à de grands effets d’émotions. » Encore, le romancier doit-il opérer un choix dans ses documents pour « rester dans les généralités probables » c’est-à-dire dépouiller les faits de leur caractère accidentel et leur donner une valeur de vérité universelle.
III - MADAME BOVARY
A – ANALYSE
Pour écrire Madame Bovary, Flaubert s’est inspiré d’un fait divers réel : l’histoire d’un ancien élève de son père Eugène Delmare, médecin à Ry, dont la femme infidèle avait fini par s’empoisonner et qui lui-même mourra de chagrin. Dans le récit de Flaubert, sous le nom de Yonville, c’est la bourgade de Ry qui nous est minutieusement décrite, dans sa banalité : la pharmacie, l’auberge du Lion d’or, la diligence l’Hirondelle ont réellement existé. La même vérité se retrouve dans les personnages : Bovary est le portrait exact de Delmare, et Madame Bovary ressemble par bien des traits à Madame Delmare. Pour les autres personnages leur portrait est composite mais également tiré du réel.
B – COMPOSITION
La rédaction de Madame Bovary, composée de 3 parties, prendra cinq (5) ans (1851 à 1856) à Flaubert.
1 – Première partie : 9 chapitres
Le roman s’ouvre par une présentation de Charles Bovary, (élève, étudiant puis médecin très médiocre) installé à Tostes marié en première noce à une femme de 45 ans, laide, mais riche.
A la suite d’un accident du père Rouault, un paysan qui parait aisé, Charles Bovary est appelé à la ferme des Bertaux pour le soigner. Il y rencontra Emma Rouault, la fille de ce dernier dont il tomba amoureux. A la mort de sa femme, Charles épousera Emma. Leur vie de couple devient rapidement une déception pour Emma, qui, influencé par ses lectures romantiques découvre que son mari n’était pas l’homme qu’elle s’imaginait. Par contre, Charles découvre en Emma, une femme accomplie, qui sait bien conduire son ménage. L’ennui s’installe alors dans le couple.
Invités au château de la Vaubyessard, Emma découvre, émerveillée, un autre monde différent du sien. Les rêves, les regrets ne la quittent plus. Un an et demi après cette soirée au château, Emma tomba malade et Charles dut quitter Tostes après 4 ans pour déménager à Yonville. Emma était alors enceinte quand le couple déménage à Yonville.
2 – Deuxième partie : 15 chapitres
Le couple arrive à Yonville dans la même diligence que Lheureux, le marchand d’étoffes. Ils dinent au Lion d’or en compagnie de Homais le pharmacien et de Léon Dupuis Clerc de notaire, qui engage avec Emma une discussion romantique. Ils deviennent ainsi amis.
A la naissance de Berthe, fille d’Emma, elle sera mise en nourrice chez Madame Rollet. La vie monotone de Yonville fait découvrir à Emma son amour pour Léon. Elle guette chaque jour le passage de celui-ci. Cependant, Léon très timide n’ose pas avouer son amour à Emma qui de son coté désire rester vertueuse malgré sa passion pour Léon et sa haine pour son mari. Léon finit par partir pour Paris et ce départ chagrine profondément Emma.
A l’occasion de la fête pour la solennité des comices agricoles, Emma rencontre Rodolphe Boulanger, le nouveau châtelain de La Huchette, grand coureur de jupons, qui la séduit. C’est avec Rodolphe qu’Emma trompât pour la première fois son mari. Leurs rencontres se multiplient et leur amour se solidifie. Ils projettent même de s’enfuir. Mais, à la veille de leur départ, Rodolphe annonce à Emma, dans une lettre, qu’il ne peut plus partir avec elle. Cette lettre à la main, Emma est désemparée et veut se suicider. Elle restera malade de chagrin durant un long moment. Par ailleurs, Emma s’est endettée pour faire des cadeaux à son amant par l’intermédiaire de Lheureux, le marchand d’étoffes et usurier.
A la suite de cette déception, Emma, pendant quelques temps, sombre dans la dévotion. Elle veut devenir une sainte. Malheureusement, pour la distraire au moment de sa convalescence, Bovary l’amène au théâtre à Rouen où le hasard la remet en présence de Léon.
3 – Troisième partie : 11 chapitres
Emma noue une relation amoureuse avec Léon. C’est alors la descente aux enfers. Elle passera trois jours entiers à Rouen en compagnie de celui-ci. C’était une véritable lune de miel. Leurs rencontres se multiplient et Emma, prétextant prendre des leçons de piano, se rend chaque jeudi à Rouen retrouver son amant. Elle y passera même une nuit et Charles désemparé s’y rend et ne la retrouvera qu’à l’aube.
Ayant surpris Emma au bras de Léon, Lheureux l’oblige à vendre une propriété lui appartenant. Après lui avoir demandé de payer toutes ses dettes, il la pousse à s’endetter d’avantage. N’ayant plus d’argent, Emma se fait payer les factures de son mari, vend de vieilles choses, emprunte à tout le monde. C’est la ruine des Bovary. Au même moment, Léon, qui doit devenir premier clerc, s’ennuie d’Emma.
Un soir, en rentrant à Yonville, après une nuit passée au bal masqué de mi-carême, elle apprend la nouvelle de la saisie de ses meubles. Madame Bovary se sent traquée. Personne, parmi ses amants, ne lui viendra en aide. Elle va chez le pharmacien Homais y avale du poison puis rentre tranquillement chez elle. Elle meurt la nuit même dans d’atroces souffrances.
La douleur de Charles est immense et malgré la mort de sa femme, tous les créanciers s’acharnent sur lui. Sa bonne le quitte en emportant la garde-robe d’Emma. Léon se marie. Charles découvre par hasard une lettre de Rodolphe, ensuite toutes les lettres de Léon. Il ne peut plus douter des causes de son malheur. Quelques temps après, il rencontre fortuitement Rodolphe qui l’invite à boire au Cabaret. Charles lui pardonne sa relation avec sa femme. Le lendemain, sa fille Berthe le retrouve mort sur le banc du jardin. Quant à Homais il est comblé, il vient de recevoir la médaille de la croix d’honneur.
C – RESUME
Emma Rouault, jeune fille provinciale nourrit de littérature romantique, est donnée en mariage à un médecin de campagne fort bon, mais assez médiocre, Charles Bovary.
Emma est partagée entre ses longues journées d’ennui, la conversation pédante du pharmacien Homais ou de son mari, et ses rêves exaltés. Elle finit par tromper son mari avec un châtelain de province, Rodolphe, puis avec un clerc de notaire, Léon, pour qui elle se couvre de dettes. Elle finit par se suicider à l’arsenic.
D – LES PERSONNAGES
Les personnages de Madame Bovary n’ont pas la même importance dans le déroulement de l’histoire, ni dans l’évolution du drame. Cependant, les personnages principaux représentent leurs origines sociales ce qui a permis à Flaubert, tout en faisant leur portrait, de dénoncer aussi en même temps certains comportements qui laissent à désirer.
- Emma : Elle est de tempérament sentimental. Elle s’est créée un monde à travers ses lectures, ce qui va conditionner sa vie entière. Son attitude (rêveuse, exaltée par ses lectures) trahit déjà son déséquilibre. Elle n’aime la littérature que pour ses « excitations passionnelles » et l’église que « pour ses fleurs». Cette éducation inadaptée sera la cause principale de ses actes durant son mariage. Emma vit de sentiments faux et de mensonge romantique. Elle n’accorde de réalité qu’aux êtres de ses fictions, plus beaux, plus grands. Son mari n’existe plus pour elle dès qu’il apparait contraire à ses modèles. Elle est en plus excessive en tout. Mais cet excès révèle plutôt le déséquilibre d’Emma. Elle est mal exaltée, mal religieuse, mal généreuse. Et en fin de compte, la médiocrité l’emporte sur la noblesse des grands gestes et des grands sentiments rêves.
- Charles : Le roman s’ouvre et se ferme sur lui. C’est un paysan dont l’éducation est négligée par ses parents. D’ailleurs c’est la cause de sa médiocrité. Charles est un homme sans caractère qui apparait d’abord comme faible, destiné à être dominé par les femmes : sa mère, sa première épouse et Emma qui le mènent à leur volonté. Il est décrit aussi comme un lourdaud, sans initiative et incapable. Cependant c’est un homme qui aime sincèrement et passionnément sa femme, mais d’un amour très maladroit. C’est aussi un mari bafoué qui a causé lui-même son infortune : il a poussé sa femme dans les bras de Rodolphe en lui écrivant une lettre où il la mettait à sa disposition et comptait sur sa complaisance (p.259).
- Léon : Emma trouva Léon charmant surtout comparé à son mari. Il sait dire des mots doux, « poétiques » et romantiques. C’est le deuxième amant d’Emma. Il est décrit comme économe à l’excès, prosaïque et modéré. Dans sa relation avec Emma, il est mou, et se laisse complètement dominé par elle. Il l’aimait passionnément, mais se lasse d’elle et l’abandonne. Aussi, il n’a pas pu l’aider au moment de la saisie de ses meubles, si l’on sait qu’elle s’est ruinée pour lui.
- Rodolphe : C’est un châtelain de 34 ans, célibataire, coureur de jupons, ayant une expérience des femmes. Pour un bourgeois comme lui, l’amour est une question de blagues et la conquête d’une femme, une simple affaire de stratégie. Pourtant Rodolphe et Emma se sont aimés, mais l’exaltation d’Emma l’effraie et craignant de s’engager trop, il l’abandonne après une promesse de fuite. Emma tombera malade très longtemps après sa rupture avec Rodolphe. Après la mort d’Emma, Charles lui pardonnera sa relation avec sa femme et dira tout simplement que « c’est la faute de la fatalité» (p. 500).
- Lheureux : C’est un marchand d’étoffes et un usurier redoutable. Chaque fois qu’il voit Emma en compagnie d’un autre homme que son mari, il la précipite dans la ruine en lui faisant signer des billets de reconnaissance de dette. Il est à l’origine de l’hypothèque et de la saisie des biens des Bovary.
- Homais : C’est un pharmacien, membre de plusieurs associations de Yonville et de la région. C’est un correspondant du journal Le Fanal de Rouen. Il est sans gêne et ses amitiés se basent sur l’intérêt. A la mort d’Emma il interdit à ses enfants de fréquenter la fille des Bovary vu la différence de leur condition de vie. Il se prend pour un ami de l’humanité (philanthrope), jouit des faveurs de l’autorité et de l’opinion publique.
E – L’ESPACE ET LE TEMPS
L’espace décrit dans ce roman est la région de Normandie (au Nord-Ouest de la France à 150 km de Paris) que Flaubert connaissait bien, pour y être né et y avoir vécu. Dans Madame Bovary, le territoire est assez limité. Flaubert a essentiellement évoqué Tostes où les Bovary s’étaient installés au début de leur ménage, Yonville l’Abbaye et en fin Rouen, où Emma se rendait régulièrement pour retrouver son amant Léon. En plus de ses espaces géographiques, il ya aussi la description de la maison de Charles à Tostes et à Yonville, l’auberge du Lion d’or, la maison du pharmacien, le château de la Vaubyessard, le château de La Huchette, la chambre de Rouen… bref tous les espaces intérieurs ou extérieurs qu’Emma fréquentait.
L’histoire de Madame Bovary se passe dans la première moitié du XIXe siècle caractérisé principalement par la mode du Romantisme sur le plan artistique. Ce courant, nous l’avons vu, appelle à une révolte, à une rupture avec ce qui existait. Donc cette époque se caractérise surtout par une décadence notoire de la morale et une volonté de vivre sa vie selon le précepte du Romantisme.
F – LES THEMES
La thématique dans Madame Bovary est riche et variée. Flaubert, dans ce roman n’a fait que décrire réellement les mœurs de la société du début du XIXe siècle, à travers les personnages principaux. Ainsi, ces personnages sont des types qui véhiculent chacun une vision réaliste de son milieu : la paysannerie, la bourgeoisie, l’aristocratie. Cependant à notre niveau, on peut relever les thèmes transversaux suivants :
- L’adultère
- Le drame de l’usure
- Les mœurs de province
- La satire de la bourgeoisie
- L’éducation
- Le romantisme (critique)
CONCLUSION
Emma Bovary est surtout victime des illusions romantiques, romanesques et des aspirations qui ne s’accordent pas avec sa situation de petite bourgeoise sentimentale. Madame Bovary est une critique du romantisme féminin liée à l’époque où se situe le roman. Mais, de manière générale, il s’agit d’un travers profondément humain que Flaubert avait étudié sur lui-même (« Madame Bovary c’est moi »). Quand il écrivait : « ma pauvre Bovary souffre et pleure dans 20 villages de France », il sentait qu’en observant un cas individuel il avait fait de son héroïne un type universel. Cette tendance des hommes à se croire tels qu’ils voudraient être et à rêver de bonheurs illusoires qui leur sont inaccessibles que Flaubert dénonce dans la plupart de ses romans comme la source principale de leurs maux a reçu le nom désormais traditionnel de bovarysme.
Même si la peinture était vraie, n’était-il pas dangereux de présenter comme naturel, l’enchainement en quelque sorte fatal qui faisait de Madame Bovary une mauvaise épouse, une mauvaise mère et la précipitait dans des fautes que l’auteur ne craignait pas d’évoquer ? C’est là tout le problème de la vérité et de la moralité dans cette œuvre remarquable.